LES NOIX D’HAZEBROUCK

vendredi 5 mars 2021
par  François DART
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Hazebrouck était un bon gros bourg des Flandres autrefois connu pour l’importante juridiction intercommunale qu’était son « Hoop » et aussi pour le fait que sa dénomination pouvait se traduire en français de deux façons, c’est-à-dire « marais du lièvre » ou « lièvre dans le pantalon ».

Tout ceci ne fut sûrement pas étranger au fait qu’il y a quelques années un magistrat fut brusquement « Hazebrouqué » c’est-à-dire muté du sud de la France vers le nord pour y bénéficier d’une promotion adaptée à ses mérites reconnus et appréciés comme il se devait.

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Or donc, la chicanerie qui eut lieu en ce pays vers la fin du XVIe siècle, montra à quel point l’opinion publique pouvait déjà apprécier diversement les décisions de justice.

Le litige concernait un bien beau noyer qui n’avait pour seul défaut que de se trouver juste sur la limite de la ville d’Hazebrouck et de la seigneurie de Flêtre, les deux entités concernées s’en estimant naturellement toutes deux propriétaires légitimes, ce qui, au juste, ne causait de soucis à personne et n’empêchait quiconque de saisir quelques noix de temps à autre. Or, il advint un jour que le comte de Flêtre s’avisa de vouloir faire faire par son cuisinier un gâteau aux noix pour honorer l’un de ses illustres visiteurs, si illustre que l’histoire en a déjà perdu le nom, c’est vous dire !

Les serviteurs du comte partirent donc bravement et joyeusement cueillir les noix. Hélas, lorsqu’ils arrivèrent à l’endroit où se trouvait le noyer, ils aperçurent de simples manants d’Hazebrouck, bref des Hazebrouckois ordinaires, paisiblement employés à soulager le noyer de ses fruits les plus enviables. La conscience de la supériorité de la condition de leur maître fit que les serviteurs du comte intimèrent vertement aux manants l’ordre de vider les lieux au plus vite.

Les Hazebrouckois étant toujours portés à rire, sauf lorsqu’il s’agissait de régler quelque querelle de préséance avec Cassel ou Bailleul, les cueilleurs de noix premiers arrivés refusèrent en s’esclaffant d’obtempérer aux ordres donnés par correspondance par un seigneur qui n’avait point autorité sur eux.

Dépités, les envoyés du comte n’eurent d’autre ressource que de rentrer à Flêtre pour y narrer, tout penauds, la désagréable mésaventure qui leur était arrivée. En écoutant le récit de ses serviteurs, le comte de Flêtre se souvint qu’il était aussi bailli héréditaire de Cassel et qu’il avait donc rang doublement et suffisamment honorable pour exiger que les Hazebrouckois lui présentent leurs plus belles excuses sans oublier naturellement de faire bastonner en public les rustauds qui avaient bafoué sa noble condition.

Le bailli d’Hazebrouck, homme autant porté sur la bière que sur la conciliation, l’une soutenant l’autre, fut bien embarrassé et invita ses collègues échevins à examiner sereinement l’affaire. Mais en fin de compte le collège hazebrouckois donna raison à ses paroissiens et donc tort au seigneur de Flêtre, lequel porta incontinent la question devant l’échelon supérieur de la justice, celui du représentant dûment désigné du comte de Flandre et roi d’Espagne. Ce dernier, par solidarité de corps peut-être, donna raison au noble de Flêtre. Justice était donc rendue.

Alors, les Hazebrouckois firent comme le fera plus tard le renard des raisins de la Fontaine. Ils dédaignèrent l’objet du litige auquel ils n’accordèrent plus la moindre importance, prétextant que ce noyer n’était que faiblement productif et qu’ils disposaient par ailleurs de suffisamment de noyers et de noix pour pouvoir abandonner cet arbre au comte de Flêtre.

Ils n’oublièrent pas celui-ci cependant et s’ingénièrent à le moquer : pendant longtemps, chaque lundi de la mi-carême, on promena l’image du comte au dos d’un valet monté sur un cheval, tous les Hazebrouckois sur le chemin bénéficiant alors largement des jets de noix opérés par le cavalier. Plus tard, ce fut l’arbre lui-même qui parcourut la ville juché sur un char de carnaval. On le voit, en fin de compte, force était restée à la noix !

Eric Vanneufville


Commentaires

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